Roi, Dame, Valet by Vladimir Nabokov

Roi, Dame, Valet by Vladimir Nabokov

Auteur:Vladimir Nabokov [Nabokov, Vladimir]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Bergerac
Publié: 1928-04-11T23:00:00+00:00


IX

On pouvait maintenant discerner dans les averses une intention rieuse, quelque chose de stimulant. C’en était fini de cette morne bruine, la pluie reprenait son souffle, retrouvait sa verve. Des cristaux violets comme des sels de bain étaient dissous dans l’eau des ondées. Les flaques n’étaient plus faites de boue liquide mais de pigmentations transparentes qui formaient des tableaux merveilleux où se reflétaient les façades, les lampadaires, les grilles, le ciel bleu et blanc, un cou-de-pied nu, une pédale de bicyclette. Deux gros chauffeurs de taxi, un éboueur en tablier couleur de sable, une femme de chambre dont les cheveux dorés flamboyaient au soleil, un mitron tout blanc pieds nus dans des caoutchoucs luisants, un vieil émigré barbu portant à la main une gamelle, deux femmes avec deux chiens et un homme en complet gris coiffé d’un borsalino gris étaient rassemblés sur le trottoir et regardaient en l’air, de l’autre côté de la rue, vers la tourelle d’angle d’une maison de rapport où s’étaient attroupées, papotantes et criaillantes, une vingtaine d’hirondelles. Puis l’éboueur vêtu de jaune fit rouler son bidon jaune jusqu’au camion, les chauffeurs retournèrent à leurs véhicules, le boulanger sauta sur sa bicyclette, la jolie servante entra dans une papeterie, les dames se laissèrent entraîner par leurs chiens qu’affolaient de nouvelles odeurs ; le dernier à partir fut l’homme en gris ; le vieil étranger barbu qui portait une gamelle et un journal russe resta seul en extase, à contempler un toit de la lointaine Toula{62}.

L’homme au chapeau gris marchait lentement ; de soudains éclairs en zigzag que lançaient en passant les pare-brise des voitures le faisaient loucher. Il y avait dans l’air quelque chose qui lui communiquait une amusante impression de vertige, des vagues de chaleur et de froid qui pénétraient tour à tour sous sa chemise de soie, une bizarre légèreté, une palpitation éthérée, où se dissolvaient son identité, son nom, sa profession.

Il venait de déjeuner et, théoriquement, était censé retourner au bureau ; en ce premier jour de printemps, cependant, la notion même de « bureau » s’était purement et simplement évaporée.

En face de lui, sur le même côté ensoleillé de la rue, venait une dame svelte aux cheveux courts, en manteau de caracul, et un garçonnet de quatre à cinq ans en costume marin bleu roulant à ses côtés sur un tricycle.

« Erika ! » s’écria l’homme et il s’arrêta en ouvrant les bras.

Le petit garçon, qui pédalait avec énergie, passa sans s’arrêter, mais la mère suspendit sa marche, clignant des yeux dans le soleil.

Elle était plus élégante maintenant, les traits de son visage d’oiseau, intelligent et mobile, semblaient encore plus délicats qu’autrefois. Mais le rayonnement, l’éclat qui jadis faisait son charme, s’était évanoui. Elle avait vingt-six ans lorsqu’ils s’étaient séparés.

« Je t’ai vu deux fois en huit ans », dit-elle de sa petite voix familière, rapide, légèrement râpeuse. « Une fois, tu passais dans une voiture découverte et, une autre fois, je t’ai vu au théâtre : tu étais avec une grande brune.



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